Lord Jim
Avoir son Soleil en Poissons
A la fin de l’hiver vient le temps des Poissons. Lorsque la neige, qui était restée immobile sous le Verseau, se met à fondre. Sous la surface blanche, encore immaculée, on devine un bruissement de vie. Celui de l’eau.
Joseph Conrad a écrit l’histoire d’un marin anglais, toujours habillé de blanc, Lord Jim, héros romantique des mers d’Orient.
Ce n’est pas si facile d’argumenter que tel ou tel personnage littéraire illustre le signe des Poissons. Si le signe est inspiré (Chopin, Caruso), visionnaire (Edgar Cayce), il est également mystérieux, insaisissable (Bernard Arnault). Et donc délicat à définir. On ne maîtrise pas les torrents de montagne, ni les vagues de l’océan. Lord Jim était d’un caractère attachant, mais au comportement imprévisible.
Voilà comment Conrad le qualifie : franc, sourire candide, gravité juvénile, …artiste doué d’une étrange clairvoyance sur l’avenir. On dirait la description d’un natif des Poissons.
Tout au début du roman, Conrad utilise l’image d’un taureau pour décrire le regard de Lord Jim. Mais on est loin de la symbolique du deuxième signe du Zodiaque. Certes, Jim a la même vigueur et résistance que le taureau. Jim a le même regard d’hypnotiseur que celui du taureau. Je crois que c’est ce que Conrad voulait faire comprendre.
Beaucoup des natifs des Poissons, capables d’oublier de manger, peuvent perdre, au cours d’un effort, le contact avec la douleur corporelle –comme Jim, et atteindre des exploits sportifs. Un exemple est celui de Alberto Tomba qui a son Soleil en Poissons. Jeannie Longo, dont la carrière de cycliste est d’une incroyable longévité, a son Ascendant en Poissons (et cinq planètes en Scorpion).
Pour moi, il ne fait pas de doute que Lord Jim incarne la symbolique des Poissons. Marlow, le narrateur de l’histoire, le ressent bien, dans ses descriptions d’un homme émouvant, à moitié caché dans le brouillard, dans des vêtements blancs immaculés. Ce qui fait penser aux chevaux de Poséidon (Neptune), à la robe blanche et à la crinière d’or.
Les Poissons sont associés au dieu Neptune, maître de la mer, de ce qui est infini, insondable. Avant tout, ils sont sensibles au domaine des sentiments (l’eau).
Le Lord Jim de Joseph Conrad n’est pas dans la réalité. Il arpente le pont de son navire, perdu dans de grandes pensées, de grands exploits, mais sous ses pieds ce sont des pèlerins, entassés les uns sur les autres, tels des esclaves que l’on transporte. Et ses exploits, aussi grandioses que les batailles de Napoléon, aux noms gravés sur l’Arc de Triomphe, n’existent que dans son imagination.
Il fait une erreur, abandonne son navire (le Patna) en croyant vivre un naufrage. Mais le navire est sauvé et est remorqué jusqu’au port. Il sera jugé. Il sera puni. Il assumera une faute éternelle. Recherchant sur les mers d’Orient une opportunité de rachat, il finira par en trouver une. Une mort héroïque. Voilà sa destinée. Mais une mort inutile. Napoléon n’a pas jugé nécessaire de mourir à Waterloo. Lord Jim ne considère que ce qui pour lui est l’essentiel, son honneur, sa fierté, sans s’apercevoir du désespoir de ceux qu’il laisse, sa femme notamment.
Lord Jim n’est pas Napoléon. Dans ce village asiatique où il finit par arriver après mille détours, il se prend pour Napoléon en pleine campagne d’Egypte, roi, empereur, ou prince. Sur les sentiers de la jungle tropicale, sur une pirogue, il reste un homme seul. Un homme respecté, un étranger, pas un conquérant. Lord Jim vit dans l’illusion. Ses rêves le poussent à vouloir devenir roi de la jungle, de même qu’ils l’avaient entraîné sur la mer. Il ne sera pas amiral, mais vivra un sombre naufrage. Lord Jim est né avec son Soleil en Poissons. Le signe du dieu Neptune, dieu de la mer, des rêves, du génie inspiré, est aussi celui des alcooliques, des drogués, de la fuite.
Neptune peut éclairer, ouvrir à de nouvelles dimensions, l’eau symbolisant la spiritualité. Mais Neptune peut aussi enivrer, noyer dans des brumes épaisses, nous entraînant dans son royaume, au fond des mers. D’un côté l’illumination, de l’autre la blessure narcissique. Car Neptune montre que le Moi doit se dissoudre dans l’océan de la pensée collective. Sous son influence, l’un peut devenir mystique, l’autre s’abrutir de substances interdites.
Tout le monde ne peut pas avoir le génie de Chopin, mais tous les Poissons ont un potentiel créatif important. Lord Jim a su accomplir des choses. En combattant le Chérif Ali, il a permis à la paix de revenir au royaume de Patusan. Tel un Jupiter, il rendra ensuite la justice, garantissant à lui tout seul le développement du royaume.
Le don artistique et l’intuition sont associés à la symbolique des Poissons. L’un des plus grands voyants qui ait existé, Edgar Cayce (Poissons), était également photographe. Pour s’épanouir, le natif des Poissons a besoin de créer. Ce qui lui est facile, lui qui peut accéder à l’inconscient collectif.
Comme Jim, les Poissons sont très sensibles, capables de compassion, et aiment aider les autres. Jim ne sera jamais oisif, même quand il est chassé de la marine anglaise. Alors que la tentation pouvait être grande de se laisser aller, quand on était un occidental désœuvré dans un port d’Orient, où les fumeries d’opium abondaient. Tour à tour commis maritime, homme de confiance d’un marchand (Stein), puis roi de fait des forêts humides du Patusan, il cherche toujours à rendre service.
Sa sensibilité existe mais est toute intérieure. Ce qui le prédisposait au danger qui guette les Poissons : le risque d’être hors la réalité. Enfant, Jim fantasmait déjà au travers de ses lectures. C’est d’ailleurs ainsi, dans les livres, qu’il découvre sa vocation de marin. Ses aventures héroïques expliquent son courage. On n’est jamais aussi téméraire que quand on est inconscient des dangers. Comme ces pur-sang nerveux, facilement effrayés, dont on bande les yeux pour les faire avancer.
Jim arpente le pont d’un cargo vétuste, sous lequel sont entassés 800 pèlerins, comme des marchandises. Il ne voit pas les dangers d’une telle expédition, ni ce qu’elle peut avoir de méprisable. Il n’est pas là. Il ne voit pas la rouille, l’équipage alcoolique. Il est dans ses pensées, qui pour lui sont la réalité. Il vit des aventures, accomplit des prouesses, reçoit des récompenses, des déclarations d’amour d’admiratrices. Aux autres, l’inquiétude de ce qui pourrait arriver. Serein, il semble indifférent. Sur le pont du navire, ou au bord d’un fleuve de la forêt indonésienne, Conrad le décrit comme un solitaire, entouré de brume, pour souligner qu’il ne fait pas vraiment partie de notre monde.
Jim n’a pas la force des véritables solitaires, de ceux qui ont compris que la solitude et l’isolement ne sont pas des synonymes. Comme beaucoup de Poissons, peut-être par timidité, il peut se retrouver facilement isolé, alors qu’il a besoin d’amis proches. Pourtant, ce n’est pas facile d’être son ami, comme en fait l’expérience Marlow qu’il fuit si souvent. Et de façon bien plus dramatique, Dain Waris, dont la mort aurait pu être évitée. Insaisissables, les Poissons s’échappent d’entre les mains, même des plus bienveillantes.
Lord Jim incarne l’archétype du héros romantique, au destin dramatique. Mais avec un côté délirant, tant il a du mal à faire le tri entre ce qu’il perçoit du monde extérieur et ses propres émotions, si fortes qu’elles prennent l’aspect de la réalité. Alors que la Vierge possède une forte tendance à rationaliser ses émotions, les Poissons ressentent, puis réfléchissent. Ce n’est pas pour autant qu’ils raisonnent mieux, ou moins bien. Dans le Zodiaque, la Terre est opposée à l’Eau, ce qui veut dire que l’un a besoin de l’autre. C’est d’ailleurs frappant de lire la façon dont sont décrits Lord Jim et Bijou (c’est le surnom qu’il donne à son amoureuse): un héros et une vierge.
On retrouve ce rapport entre la Vierge et les Poissons dans les relations entre Jim et ses protecteurs, Marlow et Stein. Les Poissons peuvent manquer de sens pratique alors qu’il s’agit du domaine de la Vierge. Sans l’appui providentiel de Stein, Jim aurait pu être ermite dans un pays sauvage, pour reprendre l’expression de Marlow. Il avait peut-être raison. Car la Terre retient l’Eau et lui donne des formes.
L’Eau nourrit la Terre.
J’étais un jour avec des amis sur le pont d’une péniche, à côté de nous une autre péniche était amarrée. Je demandai à ceux qui m’entouraient ce qu’ils voyaient. Le premier, s’étonna et sans vraiment la regarder, me demanda pourquoi je posais une telle question. Le deuxième me décrivit la péniche, me donnant des informations factuelles sur sa taille, son âge, allant même jusqu’à faire des hypothèses sur la marque de son moteur. Quant au troisième, qui était d’abord resté silencieux, il fit remarquer les ouvertures fermées, le pont désert, sans les habituels vêtements à sécher, sans même de vieux vélo rouillé. On aurait dit Georges Simenon évoquant le décor d’un crime (c’est d’ailleurs sur une péniche que fut créé le personnage de Maigret). Ce dernier ami avait de l’Eau dans son thème, comme Lord Jim.
L’imaginaire s’oppose à la réalité, ce qui est une autre façon de lire cette opposition dans le Zodiaque entre le signe des Poissons et celui de la Vierge. L’Eau a besoin de l’élément Terre. En son absence, cela peut donner un caractère comme celui de Lord Jim, qui confond son imaginaire et la réalité. D’où ces visions délirantes lors de son procès du Patna. Alors qu’on lui demande de s’expliquer sur des faits, il se voit comme un animal pris dans un piège. Il devait sentir des épieux transpercer sa chair. Sans se rendre compte de la réalité : que tout simplement ce procès embarrasse tout le monde. Plutôt que d’affronter un procès où la marine anglaise ne peut qu’en sortir tâché, il aurait peut-être été plus courageux de fuir. Quitte à se déshonorer, autant le faire seul, sans entraîner ses pairs.
Etrangement, il souffre moins de la perte de son honneur -ce qui est le véritable thème du roman- que d’avoir manqué une aussi belle occasion de jouer au héros. Si seulement il était resté sur le bateau ! Quelles belles images : l’arrivée triomphale sur le port, la foule en délire, la reconnaissance des pèlerins ! Lord Jim est de ceux qui peuvent mourir pour une médaille. C’est parce qu’il vit pour un ruban et une inscription sur une tombe, que Lord Jim semble tout le long du roman si indifférent aux dangers. Ce serait un contresens de croire que rien n’a d’importance pour lui.
L’histoire du Patna puis de l’errance de Jim sont dramatiques. Mais Jim réussit ensuite à obtenir ce que peut désirer un homme : une place respectée au sein d’une communauté, l’amour d’une femme, et la santé. Tout cela dans un pays où quand on a faim, il suffit de lancer une ligne dans l’eau pour pêcher un poisson, ou de tendre la main pour cueillir un fruit.
Le plus triste reste pour moi la fin du roman, quand une nouvelle fois, il juge mal la situation. Au lieu de simplement analyser les faits, il croit en la promesse d’un bandit, Brown, venu envahir son territoire et qui l’assure qu’il repartira en paix. Au lieu de prendre des mesures prudentes, il se comporte comme s’il avait voulu tester la confiance des autres en lui : au lieu de donner l’assaut, il donne sa parole que Brown respectera sa promesse. Ce qui dénote également une trop haute opinion de sa personne. On le devine, l’histoire se termine mal. Neptune peut dissimuler la vérité dans des brumes remplies de chants de sirènes.
J’ai toujours lu que Neptune était lié à l’illusion. Par exemple, quand Neptune passait sur le Soleil natal on peut se tromper sur ses objectifs, ce qui ne peut qu’entraîner une tragique désillusion. Un autre lieu commun en astrologie est de relier Neptune à l’esprit de sacrifice. Pour compléter le tableau du maître du signe des Poissons, on dit aussi que les natifs des Poissons sont déstructurés (invertébrés). Avec le Scorpion, ce sont les deux signes de mauvaise réputation du Zodiaque.
Je crois que ces lieux communs ont un peu de vérité. A force de vouloir aider les autres, on peut s’oublier, et donc se sacrifier. A force de croire à des idéaux, on peut oublier les contraintes du quotidien. Mais risquer de se tromper ne veut pas dire que l’on y soit prédestiné. Le choix pour un natif des Poissons ne se limite pas à vivre comme un moine ou succomber à une overdose.
Il faut revenir à la symbolique du signe, à cette figure de deux poissons qui nagent en sens contraire : soit verticalement, comme on le voit sur d’anciens dessins, soit horizontalement. Cette représentation évoque la dualité du signe. C’est un signe dit mutable, entre deux saisons. Les Poissons ne savent pas bien s’ils appartiennent à l’hiver, s’ils doivent rester tout emmitouflés chez eux à se raconter de belles histoires, ou s’ils sont du printemps, quand on gambade dans la nature renaissante vers de nouvelles découvertes.
Voilà tout le mystère des Poissons, de ceux que l’on dit insaisissables. Ils perçoivent des territoires que d’autres ne soupçonnent pas. On les croit ailleurs, parce qu’on ne comprend pas toujours leur quête –tous les Poissons sont à la recherche d’un absolu. Mais nous faisons tous partie du même monde. C’est ce que montre la roue du Zodiaque, qui est indivisible, où chaque signe est en relation avec un autre. Nous devrions tous développer notre côté Poissons.
Il est vrai que, quand on essaie de s’élever, on peut tout aussi bien chuter. Les natifs des Poissons sont là pour nous inciter à prendre le risque. Car cela vaut la peine d’aller sous la mer. C’est dangereux certes, mais c’est là où se trouve, dit la légende, le plus beau des palais, celui du roi Neptune.
Avoir sa Lune en Sagittaire
Courageux, Lord Jim l’était. Passionné également, enthousiaste, sincère. Avec une Lune en Sagittaire qui lui donnait envie de bouger, d’aller de port en port, de revenir, de repartir. Cette combinaison d’Eau (celle des Poissons) et de Feu (celui du Sagittaire) lui donnait ce côté inspiré. Jim ne passait pas inaperçu. Sa noblesse de caractère explique en partie son surnom de Lord, lui dont on ne connaissait même pas le nom de famille. Jim ne parle pas à la première personne. Il est trop fier pour se justifier. Celui qui raconte son histoire, Marlow, a été impressionné par Jim. Dans ce surnom de Lord, il y a aussi du respect, et même du divin.
Dans ce signe de Feu (les autres signes de Feu sont le Bélier et le Lion), la Lune indique notamment la popularité, ce qui était le cas de Jim, et une sensibilité marquée à la façon dont on sera perçu en tant qu’individu. Par analogie, les signes de feu sont liés aux Maisons I, V et IX, celles qui ont trait à notre individualité. Ce n’est pas un hasard si les signes de Feu sont plutôt indépendants. Certes, Jim était orgueilleux, mais d’une façon moins théâtrale que Kim, qui avait également sa Lune en signe de Feu (en Lion).
Le thème central du roman est celui de la perte de son honneur. Ce qui est difficile à vivre pour tous, devenait insupportable chez Jim, tant était grande l’importance qu’il donnait, inconsciemment, à son image. Je dis bien de façon inconsciente, car la position de la Lune dans un thème a toujours trait à des comportements qui nous sont naturels, que nous adoptons sans nous en rendre compte.
Il s’agit de l’honneur tel que le conçoivent les marins. Du respect d’une certaine ligne de conduite, comme d’aller au secours d’un navire en perdition quel que soit l’état de la mer. Ce que pouvait comprendre parfaitement Marlow, le narrateur de l’histoire, ancien capitaine. Ce qui apparaît comme un code non écrit semble universel, aussi vrai pour la marine de guerre que pour la marine marchande (dont faisait partie Jim).
Lord Jim a voulu résoudre seul la problématique de la faute et de la culpabilité. Il échoue, ce n’est pas étonnant. Le Sagittaire porte en lui le goût du voyage, du déménagement. Cela est toujours visible. Mais il suffit de l’écouter pour se rendre qu’il a également en lui la capacité de découvertes plus spirituelles. Sous les étoiles, Jim rêvassait, pensant à ses exploits du lendemain, quand il aurait accosté en Malaisie ou dans un pays inconnu. Alors qu’il était de ceux qui sont capables de contempler le ciel. Puis de nous l’expliquer.
Poissons et Sagittaire
Les Poissons et le Sagittaire sont régis par les planètes les plus mystiques du Zodiaque : Neptune et Jupiter. Lord Jim était un exalté. Ses principes moraux conjugués à son éloignement de la réalité ont limité l’éveil de sa spiritualité, et l’ont conduit à une folie mégalomane. Ce qui lui importait n’était pas de vivre, mais de laisser une légende. Quelqu’un d’unique que l’on n’oublierait jamais : droit, irréprochable, digne de confiance.
Lord Jim reste un personnage d’exception, ceux qui sont marqués par les Poissons et le Sagittaire peuvent vivre cette combinaison différemment. La tendance idéaliste, propre à cette combinaison, peut arriver à s’exprimer dans un cadre social.
Il faut dire que Jim était le benjamin d’une famille de cinq fils, et qu’il n’a pas été vraiment encouragé et valorisé dans son enfance. Issu d’un milieu modeste, le choix de la Marine était naturel, dans l’Angleterre de la fin XIXème qui dominait encore les mers.
De son éducation religieuse, son père était Pasteur, il retiendra surtout l’idée d’un justice immanente. S’il décide de ne plus jamais revenir parmi les siens, en Angleterre, c’est en partie parce qu’il ne croit pas au pardon. Il devait s’imaginer une terrible colère paternelle, un bannissement peut-être.
Après son erreur de jugement, lors de l’épisode du Patna, c’est comme s’il voyait, dans les nuages, une figure paternelle le condamnant, sans appel, à un châtiment éternel.
17 octobre 1997
Avoir son Soleil en Poissons
A la fin de l’hiver vient le temps des Poissons. Lorsque la neige, qui était restée immobile sous le Verseau, se met à fondre. Sous la surface blanche, encore immaculée, on devine un bruissement de vie. Celui de l’eau.
Joseph Conrad a écrit l’histoire d’un marin anglais, toujours habillé de blanc, Lord Jim, héros romantique des mers d’Orient.
Ce n’est pas si facile d’argumenter que tel ou tel personnage littéraire illustre le signe des Poissons. Si le signe est inspiré (Chopin, Caruso), visionnaire (Edgar Cayce), il est également mystérieux, insaisissable (Bernard Arnault). Et donc délicat à définir. On ne maîtrise pas les torrents de montagne, ni les vagues de l’océan. Lord Jim était d’un caractère attachant, mais au comportement imprévisible.
Voilà comment Conrad le qualifie : franc, sourire candide, gravité juvénile, …artiste doué d’une étrange clairvoyance sur l’avenir. On dirait la description d’un natif des Poissons.
Tout au début du roman, Conrad utilise l’image d’un taureau pour décrire le regard de Lord Jim. Mais on est loin de la symbolique du deuxième signe du Zodiaque. Certes, Jim a la même vigueur et résistance que le taureau. Jim a le même regard d’hypnotiseur que celui du taureau. Je crois que c’est ce que Conrad voulait faire comprendre.
Beaucoup des natifs des Poissons, capables d’oublier de manger, peuvent perdre, au cours d’un effort, le contact avec la douleur corporelle –comme Jim, et atteindre des exploits sportifs. Un exemple est celui de Alberto Tomba qui a son Soleil en Poissons. Jeannie Longo, dont la carrière de cycliste est d’une incroyable longévité, a son Ascendant en Poissons (et cinq planètes en Scorpion).
Pour moi, il ne fait pas de doute que Lord Jim incarne la symbolique des Poissons. Marlow, le narrateur de l’histoire, le ressent bien, dans ses descriptions d’un homme émouvant, à moitié caché dans le brouillard, dans des vêtements blancs immaculés. Ce qui fait penser aux chevaux de Poséidon (Neptune), à la robe blanche et à la crinière d’or.
Les Poissons sont associés au dieu Neptune, maître de la mer, de ce qui est infini, insondable. Avant tout, ils sont sensibles au domaine des sentiments (l’eau).
Le Lord Jim de Joseph Conrad n’est pas dans la réalité. Il arpente le pont de son navire, perdu dans de grandes pensées, de grands exploits, mais sous ses pieds ce sont des pèlerins, entassés les uns sur les autres, tels des esclaves que l’on transporte. Et ses exploits, aussi grandioses que les batailles de Napoléon, aux noms gravés sur l’Arc de Triomphe, n’existent que dans son imagination.
Il fait une erreur, abandonne son navire (le Patna) en croyant vivre un naufrage. Mais le navire est sauvé et est remorqué jusqu’au port. Il sera jugé. Il sera puni. Il assumera une faute éternelle. Recherchant sur les mers d’Orient une opportunité de rachat, il finira par en trouver une. Une mort héroïque. Voilà sa destinée. Mais une mort inutile. Napoléon n’a pas jugé nécessaire de mourir à Waterloo. Lord Jim ne considère que ce qui pour lui est l’essentiel, son honneur, sa fierté, sans s’apercevoir du désespoir de ceux qu’il laisse, sa femme notamment.
Lord Jim n’est pas Napoléon. Dans ce village asiatique où il finit par arriver après mille détours, il se prend pour Napoléon en pleine campagne d’Egypte, roi, empereur, ou prince. Sur les sentiers de la jungle tropicale, sur une pirogue, il reste un homme seul. Un homme respecté, un étranger, pas un conquérant. Lord Jim vit dans l’illusion. Ses rêves le poussent à vouloir devenir roi de la jungle, de même qu’ils l’avaient entraîné sur la mer. Il ne sera pas amiral, mais vivra un sombre naufrage. Lord Jim est né avec son Soleil en Poissons. Le signe du dieu Neptune, dieu de la mer, des rêves, du génie inspiré, est aussi celui des alcooliques, des drogués, de la fuite.
Neptune peut éclairer, ouvrir à de nouvelles dimensions, l’eau symbolisant la spiritualité. Mais Neptune peut aussi enivrer, noyer dans des brumes épaisses, nous entraînant dans son royaume, au fond des mers. D’un côté l’illumination, de l’autre la blessure narcissique. Car Neptune montre que le Moi doit se dissoudre dans l’océan de la pensée collective. Sous son influence, l’un peut devenir mystique, l’autre s’abrutir de substances interdites.
Tout le monde ne peut pas avoir le génie de Chopin, mais tous les Poissons ont un potentiel créatif important. Lord Jim a su accomplir des choses. En combattant le Chérif Ali, il a permis à la paix de revenir au royaume de Patusan. Tel un Jupiter, il rendra ensuite la justice, garantissant à lui tout seul le développement du royaume.
Le don artistique et l’intuition sont associés à la symbolique des Poissons. L’un des plus grands voyants qui ait existé, Edgar Cayce (Poissons), était également photographe. Pour s’épanouir, le natif des Poissons a besoin de créer. Ce qui lui est facile, lui qui peut accéder à l’inconscient collectif.
Comme Jim, les Poissons sont très sensibles, capables de compassion, et aiment aider les autres. Jim ne sera jamais oisif, même quand il est chassé de la marine anglaise. Alors que la tentation pouvait être grande de se laisser aller, quand on était un occidental désœuvré dans un port d’Orient, où les fumeries d’opium abondaient. Tour à tour commis maritime, homme de confiance d’un marchand (Stein), puis roi de fait des forêts humides du Patusan, il cherche toujours à rendre service.
Sa sensibilité existe mais est toute intérieure. Ce qui le prédisposait au danger qui guette les Poissons : le risque d’être hors la réalité. Enfant, Jim fantasmait déjà au travers de ses lectures. C’est d’ailleurs ainsi, dans les livres, qu’il découvre sa vocation de marin. Ses aventures héroïques expliquent son courage. On n’est jamais aussi téméraire que quand on est inconscient des dangers. Comme ces pur-sang nerveux, facilement effrayés, dont on bande les yeux pour les faire avancer.
Jim arpente le pont d’un cargo vétuste, sous lequel sont entassés 800 pèlerins, comme des marchandises. Il ne voit pas les dangers d’une telle expédition, ni ce qu’elle peut avoir de méprisable. Il n’est pas là. Il ne voit pas la rouille, l’équipage alcoolique. Il est dans ses pensées, qui pour lui sont la réalité. Il vit des aventures, accomplit des prouesses, reçoit des récompenses, des déclarations d’amour d’admiratrices. Aux autres, l’inquiétude de ce qui pourrait arriver. Serein, il semble indifférent. Sur le pont du navire, ou au bord d’un fleuve de la forêt indonésienne, Conrad le décrit comme un solitaire, entouré de brume, pour souligner qu’il ne fait pas vraiment partie de notre monde.
Jim n’a pas la force des véritables solitaires, de ceux qui ont compris que la solitude et l’isolement ne sont pas des synonymes. Comme beaucoup de Poissons, peut-être par timidité, il peut se retrouver facilement isolé, alors qu’il a besoin d’amis proches. Pourtant, ce n’est pas facile d’être son ami, comme en fait l’expérience Marlow qu’il fuit si souvent. Et de façon bien plus dramatique, Dain Waris, dont la mort aurait pu être évitée. Insaisissables, les Poissons s’échappent d’entre les mains, même des plus bienveillantes.
Lord Jim incarne l’archétype du héros romantique, au destin dramatique. Mais avec un côté délirant, tant il a du mal à faire le tri entre ce qu’il perçoit du monde extérieur et ses propres émotions, si fortes qu’elles prennent l’aspect de la réalité. Alors que la Vierge possède une forte tendance à rationaliser ses émotions, les Poissons ressentent, puis réfléchissent. Ce n’est pas pour autant qu’ils raisonnent mieux, ou moins bien. Dans le Zodiaque, la Terre est opposée à l’Eau, ce qui veut dire que l’un a besoin de l’autre. C’est d’ailleurs frappant de lire la façon dont sont décrits Lord Jim et Bijou (c’est le surnom qu’il donne à son amoureuse): un héros et une vierge.
On retrouve ce rapport entre la Vierge et les Poissons dans les relations entre Jim et ses protecteurs, Marlow et Stein. Les Poissons peuvent manquer de sens pratique alors qu’il s’agit du domaine de la Vierge. Sans l’appui providentiel de Stein, Jim aurait pu être ermite dans un pays sauvage, pour reprendre l’expression de Marlow. Il avait peut-être raison. Car la Terre retient l’Eau et lui donne des formes.
L’Eau nourrit la Terre.
J’étais un jour avec des amis sur le pont d’une péniche, à côté de nous une autre péniche était amarrée. Je demandai à ceux qui m’entouraient ce qu’ils voyaient. Le premier, s’étonna et sans vraiment la regarder, me demanda pourquoi je posais une telle question. Le deuxième me décrivit la péniche, me donnant des informations factuelles sur sa taille, son âge, allant même jusqu’à faire des hypothèses sur la marque de son moteur. Quant au troisième, qui était d’abord resté silencieux, il fit remarquer les ouvertures fermées, le pont désert, sans les habituels vêtements à sécher, sans même de vieux vélo rouillé. On aurait dit Georges Simenon évoquant le décor d’un crime (c’est d’ailleurs sur une péniche que fut créé le personnage de Maigret). Ce dernier ami avait de l’Eau dans son thème, comme Lord Jim.
L’imaginaire s’oppose à la réalité, ce qui est une autre façon de lire cette opposition dans le Zodiaque entre le signe des Poissons et celui de la Vierge. L’Eau a besoin de l’élément Terre. En son absence, cela peut donner un caractère comme celui de Lord Jim, qui confond son imaginaire et la réalité. D’où ces visions délirantes lors de son procès du Patna. Alors qu’on lui demande de s’expliquer sur des faits, il se voit comme un animal pris dans un piège. Il devait sentir des épieux transpercer sa chair. Sans se rendre compte de la réalité : que tout simplement ce procès embarrasse tout le monde. Plutôt que d’affronter un procès où la marine anglaise ne peut qu’en sortir tâché, il aurait peut-être été plus courageux de fuir. Quitte à se déshonorer, autant le faire seul, sans entraîner ses pairs.
Etrangement, il souffre moins de la perte de son honneur -ce qui est le véritable thème du roman- que d’avoir manqué une aussi belle occasion de jouer au héros. Si seulement il était resté sur le bateau ! Quelles belles images : l’arrivée triomphale sur le port, la foule en délire, la reconnaissance des pèlerins ! Lord Jim est de ceux qui peuvent mourir pour une médaille. C’est parce qu’il vit pour un ruban et une inscription sur une tombe, que Lord Jim semble tout le long du roman si indifférent aux dangers. Ce serait un contresens de croire que rien n’a d’importance pour lui.
L’histoire du Patna puis de l’errance de Jim sont dramatiques. Mais Jim réussit ensuite à obtenir ce que peut désirer un homme : une place respectée au sein d’une communauté, l’amour d’une femme, et la santé. Tout cela dans un pays où quand on a faim, il suffit de lancer une ligne dans l’eau pour pêcher un poisson, ou de tendre la main pour cueillir un fruit.
Le plus triste reste pour moi la fin du roman, quand une nouvelle fois, il juge mal la situation. Au lieu de simplement analyser les faits, il croit en la promesse d’un bandit, Brown, venu envahir son territoire et qui l’assure qu’il repartira en paix. Au lieu de prendre des mesures prudentes, il se comporte comme s’il avait voulu tester la confiance des autres en lui : au lieu de donner l’assaut, il donne sa parole que Brown respectera sa promesse. Ce qui dénote également une trop haute opinion de sa personne. On le devine, l’histoire se termine mal. Neptune peut dissimuler la vérité dans des brumes remplies de chants de sirènes.
J’ai toujours lu que Neptune était lié à l’illusion. Par exemple, quand Neptune passait sur le Soleil natal on peut se tromper sur ses objectifs, ce qui ne peut qu’entraîner une tragique désillusion. Un autre lieu commun en astrologie est de relier Neptune à l’esprit de sacrifice. Pour compléter le tableau du maître du signe des Poissons, on dit aussi que les natifs des Poissons sont déstructurés (invertébrés). Avec le Scorpion, ce sont les deux signes de mauvaise réputation du Zodiaque.
Je crois que ces lieux communs ont un peu de vérité. A force de vouloir aider les autres, on peut s’oublier, et donc se sacrifier. A force de croire à des idéaux, on peut oublier les contraintes du quotidien. Mais risquer de se tromper ne veut pas dire que l’on y soit prédestiné. Le choix pour un natif des Poissons ne se limite pas à vivre comme un moine ou succomber à une overdose.
Il faut revenir à la symbolique du signe, à cette figure de deux poissons qui nagent en sens contraire : soit verticalement, comme on le voit sur d’anciens dessins, soit horizontalement. Cette représentation évoque la dualité du signe. C’est un signe dit mutable, entre deux saisons. Les Poissons ne savent pas bien s’ils appartiennent à l’hiver, s’ils doivent rester tout emmitouflés chez eux à se raconter de belles histoires, ou s’ils sont du printemps, quand on gambade dans la nature renaissante vers de nouvelles découvertes.
Voilà tout le mystère des Poissons, de ceux que l’on dit insaisissables. Ils perçoivent des territoires que d’autres ne soupçonnent pas. On les croit ailleurs, parce qu’on ne comprend pas toujours leur quête –tous les Poissons sont à la recherche d’un absolu. Mais nous faisons tous partie du même monde. C’est ce que montre la roue du Zodiaque, qui est indivisible, où chaque signe est en relation avec un autre. Nous devrions tous développer notre côté Poissons.
Il est vrai que, quand on essaie de s’élever, on peut tout aussi bien chuter. Les natifs des Poissons sont là pour nous inciter à prendre le risque. Car cela vaut la peine d’aller sous la mer. C’est dangereux certes, mais c’est là où se trouve, dit la légende, le plus beau des palais, celui du roi Neptune.
Avoir sa Lune en Sagittaire
Courageux, Lord Jim l’était. Passionné également, enthousiaste, sincère. Avec une Lune en Sagittaire qui lui donnait envie de bouger, d’aller de port en port, de revenir, de repartir. Cette combinaison d’Eau (celle des Poissons) et de Feu (celui du Sagittaire) lui donnait ce côté inspiré. Jim ne passait pas inaperçu. Sa noblesse de caractère explique en partie son surnom de Lord, lui dont on ne connaissait même pas le nom de famille. Jim ne parle pas à la première personne. Il est trop fier pour se justifier. Celui qui raconte son histoire, Marlow, a été impressionné par Jim. Dans ce surnom de Lord, il y a aussi du respect, et même du divin.
Dans ce signe de Feu (les autres signes de Feu sont le Bélier et le Lion), la Lune indique notamment la popularité, ce qui était le cas de Jim, et une sensibilité marquée à la façon dont on sera perçu en tant qu’individu. Par analogie, les signes de feu sont liés aux Maisons I, V et IX, celles qui ont trait à notre individualité. Ce n’est pas un hasard si les signes de Feu sont plutôt indépendants. Certes, Jim était orgueilleux, mais d’une façon moins théâtrale que Kim, qui avait également sa Lune en signe de Feu (en Lion).
Le thème central du roman est celui de la perte de son honneur. Ce qui est difficile à vivre pour tous, devenait insupportable chez Jim, tant était grande l’importance qu’il donnait, inconsciemment, à son image. Je dis bien de façon inconsciente, car la position de la Lune dans un thème a toujours trait à des comportements qui nous sont naturels, que nous adoptons sans nous en rendre compte.
Il s’agit de l’honneur tel que le conçoivent les marins. Du respect d’une certaine ligne de conduite, comme d’aller au secours d’un navire en perdition quel que soit l’état de la mer. Ce que pouvait comprendre parfaitement Marlow, le narrateur de l’histoire, ancien capitaine. Ce qui apparaît comme un code non écrit semble universel, aussi vrai pour la marine de guerre que pour la marine marchande (dont faisait partie Jim).
Lord Jim a voulu résoudre seul la problématique de la faute et de la culpabilité. Il échoue, ce n’est pas étonnant. Le Sagittaire porte en lui le goût du voyage, du déménagement. Cela est toujours visible. Mais il suffit de l’écouter pour se rendre qu’il a également en lui la capacité de découvertes plus spirituelles. Sous les étoiles, Jim rêvassait, pensant à ses exploits du lendemain, quand il aurait accosté en Malaisie ou dans un pays inconnu. Alors qu’il était de ceux qui sont capables de contempler le ciel. Puis de nous l’expliquer.
Poissons et Sagittaire
Les Poissons et le Sagittaire sont régis par les planètes les plus mystiques du Zodiaque : Neptune et Jupiter. Lord Jim était un exalté. Ses principes moraux conjugués à son éloignement de la réalité ont limité l’éveil de sa spiritualité, et l’ont conduit à une folie mégalomane. Ce qui lui importait n’était pas de vivre, mais de laisser une légende. Quelqu’un d’unique que l’on n’oublierait jamais : droit, irréprochable, digne de confiance.
Lord Jim reste un personnage d’exception, ceux qui sont marqués par les Poissons et le Sagittaire peuvent vivre cette combinaison différemment. La tendance idéaliste, propre à cette combinaison, peut arriver à s’exprimer dans un cadre social.
Il faut dire que Jim était le benjamin d’une famille de cinq fils, et qu’il n’a pas été vraiment encouragé et valorisé dans son enfance. Issu d’un milieu modeste, le choix de la Marine était naturel, dans l’Angleterre de la fin XIXème qui dominait encore les mers.
De son éducation religieuse, son père était Pasteur, il retiendra surtout l’idée d’un justice immanente. S’il décide de ne plus jamais revenir parmi les siens, en Angleterre, c’est en partie parce qu’il ne croit pas au pardon. Il devait s’imaginer une terrible colère paternelle, un bannissement peut-être.
Après son erreur de jugement, lors de l’épisode du Patna, c’est comme s’il voyait, dans les nuages, une figure paternelle le condamnant, sans appel, à un châtiment éternel.
17 octobre 1997